Beaucoup de choses se sont passées ces dernières semaines sur les marchés, certaines auxquelles je m'attendais et d'autres auxquelles je n'étais pas préparé. Cet article est l'occasion pour moi de mettre par écrit toutes mes pensées et réflexions, en espérant que cela vous aidera.
Je vais rapidement expliquer ce qui s'est passé au cours des dernières semaines et ce que je prévois pour les prochains mois pour le marché boursier américain. N'hésitez pas à partager votre opinion dans les commentaires, surtout si vous avez un point de vue différent afin d'élever le débat.
Du “hard-landing” en octobre, au “soft-landing” en décembre, au “no-landing” en février
Les dernières semaines ont été marquées par la poursuite du rebond des actifs risqués qui a commencé en octobre. L'optimisme quant à la réouverture de l'économie chinoise et des publications meilleures que prévu des deux côtés de l'Atlantique ont concrètement amélioré les perspectives économiques ces dernières semaines, en particulier le très fort NFP et les ventes au détail de janvier.
L'économie américaine a créé un demi-million d'emplois, ce qui n'arrive pas en période de récession, et les ventes au détail réelles ont bondi de 3 %, ce qui n'arrive pas non plus en période de récession. De plus, les indicateurs de diffusion tels que l'indice PMI manufacturier (Markit), l'indice NFIB des petites entreprises américaines et l'indice NAHB des constructeurs de maisons ont rebondi depuis des niveaux historiquement bas.
Pour être franc, je ne pensais pas que l'économie américaine serait aussi résiliente lorsque je suis devenu bearish sur l'économie et les marchés en janvier/février 2022. Cette résilience de l'économie américaine en a surpris plus d'un et est probablement due au matelas de sécurité constitué par les ménages (y compris ceux à faibles revenus) grâce aux trois chèques de relance en 2020/21. Néanmoins, cet excès d'épargne devrait finir d'être consommé vers l'été selon la trajectoire actuelle.
Ces quelques bonnes surprises économiques apaisent les craintes de récession, mais devraient également pousser la Fed à se montrer plus hawkish. La réaction du marché actions a été plutôt positive jusqu'à présent, mais la hausse des rendements obligataires pourrait recommencer à peser sur les multiples de valorisation, surtout compte tenu du fait que la prime de risque est extrêmement faible.
En effet, l'absence de soft/hard-landing de l'économie américaine signifie que l'inflation restera “sticky” (collante) et donc que la Fed devra maintenir une politique monétaire restrictive plus longtemps (higher for longer). Les opérateurs ont commencé à relever leurs prévisions de resserrement monétaire depuis le début du mois, prévoyant désormais un taux terminal supérieur à 5,25 %, contre moins de 5 % au début du mois. Si nous n'avons pas de pertes d'emploi d'ici cet été, une condition nécessaire à un éventuel pivot de la Fed, je pense que le FOMC pourrait relever les taux beaucoup plus haut, peut-être jusqu'à 6,0 %.
Le marché obligataire n'est donc pas encore sorti d'affaire (et le marché actions non plus). L'ensemble de la courbe des taux va probablement continuer à augmenter, en particulier les taux courts, ce qui devrait maintenir la courbe inversée pendant longtemps. Attendez-vous à un écart négatif encore plus important entre les taux longs et les taux courts.
L'économie américaine n'est peut-être pas en récession pour le moment, mais cela ne signifie pas qu'une récession ne se profile pas à l'horizon. L'inversion de la courbe des taux est un indicateur fiable depuis les années 50 et je ne vois pas pourquoi cette fois-ci serait différente (il existe un tas de travaux de recherche qui discréditent le signal après chaque inversion de la courbe des taux). Néanmoins, il faut garder à l'esprit que l'inversion de la courbe des taux n'a jamais permis de "timer" une récession. L'inversion pouvait se produire jusqu'à 22 mois avant le début de la prochaine récession (la dernière inversion de 10-2 ans a eu lieu en juillet 2022). Gardez donc à l’esprit votre horizon de temps de trading.
D'autres indicateurs avancés continuent également de pointer dans le rouge. Je pense notamment à l'indicateur économique avancé du Conference Board, aux ventes de poids lourds, à l'ISM manufacturier et au nombre d'employés “temporaires”. L’économie américaine continue donc de se diriger vers un hard-landing.
Un petit mot sur le marché du logement : les indicateurs avancés du secteur, tels que les ventes, les permis et les mises en chantier, sont en forte baisse, mais les indicateurs coïncidents, tels que le nombre de logements en construction et le nombre d'employés du secteur, restent à leur plus haut niveau, ce qui signifie que l'activité reste dynamique pour le moment. J'aimerais voir la construction et l'emploi diminuer pour supposer qu'une récession est imminente.
Vers un soft ou hard landing ?
Toutes ces discussions sur le début de la prochaine récession sont sympathiques, mais ce n'est pas le plus important à mes yeux. La chose la plus importante me semble être le fait que les indicateurs économiques avancés continuent de se détériorer.
Chaque cycle économique est différent, mais la façon dont le cycle économique "fonctionne" ne l'est pas. À l'heure actuelle, l'emploi est le point fort de l'économie américaine, mais le fait que les indicateurs économiques avancés continuent de se détériorer me pousse à rester prudent sur les marchés et à anticiper une poursuite de la correction (au mieux une consolidation au-dessus des plus bas d'octobre) dans les mois à venir.
Pour les personnes qui s'interrogent sur les causes des pertes d'emploi, il faut d'abord regarder du côté des bénéfices des entreprises. Si les marges continuent à être comprimées (ce qui me semble très probable en raison du ralentissement de la croissance et de la hausse des coûts d'emprunt), les petites entreprises devront réduire leurs coûts, non pas parce qu'elles le veulent, mais parce qu'elles le doivent, en particulier celles qui sont les plus endettées. Et la main-d'œuvre est le coût le plus important d’une entreprise.
L'emploi sera la clé pour déterminer si nous avons un soft ou hard-landing, mais étant donné la hausse significative du coût du crédit à travers le monde, le second scénario me semble plus susceptible de se produire au cours des prochains trimestres (quand exactement ? Je ne sais pas).
Une donnée que je surveille particulièrement est celle des inscriptions à l'allocation chômage publiées chaque jeudi. La situation sur les marchés deviendra à mon avis épicée lorsque nous aurons un bond des inscriptions hebdomadaires au-dessus du pic de juillet 2022, à environ 261k.
Il convient de noter qu'une récession est difficilement perceptible pour les opérateurs de marché, les médias, les agents économiques et les officiels tant qu'il n'y a pas de pertes d'emploi. Le début d'une récession n'est pas flagrant. En 2008 et en 2001, de nombreux articles et déclarations officielles indiquaient que l'économie américaine n'était pas encore en récession. Il est donc possible que l'économie américaine entre rapidement en récession, mais que nous subissions des pertes d'emploi bien plus tard.
En conclusion, le début d'un nouveau bull-market me semble peu probable. Le rebond du marché a commencé par des anticipations d'un pivot de la Fed, puis par un no-landing et un “short covering”*. Les prévisions d'un pivot sont balayées par quelques bonnes surprises économiques depuis le début du mois, mais les indicateurs économiques avancés continuent de pointer dans le rouge donc un hard-landing semble toujours le scénario le plus probable dans les mois à venir. Un nouveau bull market semble peu probable. Le marché boursier devrait rester volatil et de nouveaux plus bas sont à prévoir lorsque le marché de l'emploi commencera à se détériorer.
*Le short covering des valeurs technologiques américaines du 31 janvier au 15 février est la deuxième plus importante en termes d'ampleur sur une période de 12 jours au cours de la dernière décennie après celui connu début 2021 (sommet de toutes les valeurs spéculatives dont le fond ARKK).
excellente analyse comme toujours. pas que des paroles en l'air mais des arguments étayés. connaissant valentin comme qq'un de sérieux et surtout pas permabears. il est à prévoir qu'il va avoir raison. mes propres analyses montrent une dégradation des indices courant 2ème semestre et encore plus en 2024 avec une zone basse sp500 en 2024 entre 2900 et 1850. merci bcp et beau travail.
Analyse pondérée ! Merci Valentin